La Maladie cœliaque : une maladie « caméléon » à large spectre clinique Villos10
La maladie cœliaque (MC), définie comme une intolérance permanente au gluten, est une maladie auto-immune, où le système immunitaire attaque, chez des individus génétiquement prédisposés, les villosités intestinales. L’atrophie  de la paroi intestinale en résultant est à l’origine d’une malabsorption des nutriments et de multiples autres complications.
Points Clés
* la forme classique de la maladie cœliaque en tant que maladie du nourrisson et de l’enfant ne représente qu’une   partie mineure de tous ses aspects.
* Chez l’adulte,  les symptômes digestifs caractéristiques, tels que la diarrhée chronique et l’amaigrissement, sont absents dans plus de  50% des cas.
*Les manifestations cliniques sont très diverses et souvent  ambiguës, allant des conséquences d’une malabsorption sélective (par ex. anémie ferriprive) à des symptômes non spécifiques, comme la fatigue chronique ou les symptômes abdominaux rappelant le côlon irritable.
*La maladie cœliaque est souvent associée à des maladies auto-immunes, notamment le diabète  de type 1.
* Le seul traitement  reste le régime sans gluten à vie (élimination du blé, de l’orge, du seigle et de l’épeautre).
 
 1 / Des Manifestations cliniques protéiformes
Le rôle pathogénique du gluten n’a été découvert que dans les années 1950 et la MC  a été longtemps considérée comme une maladie du nourrisson et de l’enfant avec seulement des manifestations typiques, survenant quelques mois après la diversification alimentaire, sous forme de  diarrhée, d’un ventre ballonné et d’un  ralentissement de la croissance (1). Avec le développement des moyens diagnostiques, cette forme classique n’est devenue que le sommet de l’iceberg des présentations  que peut prendre la maladie (2).
Actuellement, la MC est principalement diagnostiquée chez adulte (3).  Au-delà d’un pic de fréquence  lors des 10 premières années de vie, la majorité des cas  s’observe en effet entre 40 et 60 ans. On peut même en relever chez des personnes âgées de plus de 65 ans. En outre, Les  symptômes digestifs sont devenus  minoritaires aux dépens de formes extradigestives se manifestant par une anémie à répétition,  une ostéoporose précoce, des crampes musculaires, des ecchymoses, des aphtes buccaux. On peut aussi observer des troubles de règles, une aménorrhée, des fausses couches à répétition ou encore une stérilité. Une fatigue chronique, des migraines ou  encore des  troubles de concentration ou de mémoire sont fréquents. La dermatite herpétiforme, considérée comme l’expression cutanée de la MC, est retrouvée chez un quart des patients.
 Le tableau clinique  est généralement  dominé,  chez l’enfant, par des symptômes relativement peu spécifiques comme une anémie ferriprive ou des symptômes abdominaux non caractéristiques tels une constipation.  Chez l’adulte, la  MC se manifeste généralement sous  forme oligosymptomatique ou même sous des  formes silencieuses (4). La majorité des malades présentent aussi un poids normal, un surpoids ou même une obésité morbide  dans 20% des cas.
De ce fait, la MC est bien souvent diagnostiquée au stade de complications.  On estime d’ailleurs que le délai de sa mise en évidence est de plus de 10 ans et que, pour chaque cas détecté, en particulier chez l’adulte, de 3 à 7 autres cas resteraient ignorés (5).
On notera  que la MC ne doit pas être confondue avec l’allergie au gluten  assez rare. La réaction allergique intervient immédiatement après l'ingestion  du gluten provoquant des œdèmes, des problèmes respiratoires et/ou digestifs. L'allergie ne détruit pas par contre la paroi de l'intestin grêle.
Il existe aussi à côté de l’intolérance au gluten, un phénomène qui fait débat dans le milieu scientifique et  qu’on appelle  l’hypersensibilité au gluten. Des personnes présentent des symptômes de la  MC sans que ne soit constaté d’anticorps  et de lésions caractéristiques de la maladie.
2/ Un diagnostic reposant encore sur l’histologie
Des tests sérologiques performants sont aujourd’hui utilisés pour la détection de la MC : la recherche  des anticorps anti-transglutaminases  s’est imposée car, outre sa fiabilité,   c’est la méthode la plus simple sur le plan technique et  la plus économique.
En cas de sérologie positive (ou de forte suspicion clinique de maladie cœliaque malgré des résultats sérologiques négatifs), une gastro-duodénoscopie avec biopsie duodénale en profondeur est généralement indispensable pour confirmer le diagnostic. Cette confirmation histologique initiale est nécessaire avant de proposer un régime sans gluten contraignant.
 Les anomalies caractéristiques incluent une prolifération des lymphocytes intra-épithéliaux, une prolifération des lymphocytes et des plasmocytes dans la lamina propria, un raccourcissement des villosités, une hyperplasie des cryptes et des entérocytes anormaux. Ces anomalies restent généralement limitées à la muqueuse du duodénum et du jéjunum proximal. Néanmoins, des atteintes atypiques ou focales se rencontrent également.
3/ Problématiques spécifiques du diagnostic
En pratique quotidienne, la maladie pose souvent problème (6), les signes de la maladie se confondant avec les symptômes d’autres pathologies.
Anémie ferriprive
Toute anémie ferriprive  doit faire penser à une maladie cœliaque (due  alors à une malabsorption sélective du fer).
  La MC n’étant  cependant responsable que d’environ  4 à 6% de toutes les anémies ferriprives,  il convient de rechercher aussi  la source d’une éventuelle hémorragie digestive en relation avec d’autres pathologies comme le cancer colorectal ou gastrique. Un examen gastroscopique et coloscopique est généralement incontournable lorsqu’aucune perte de sang extra-intestinale n’est perceptible.  
Syndrome du côlon irritable, dyspepsie fonctionnelle
Des troubles abdominaux, douleurs et ballonnements, pouvant  être  les symptômes prédominants voire les uniques signes de la maladie,  il est impossible de déterminer sur la seule base clinique si ces symptômes sont imputables à une maladie cœliaque ou à des syndromes fonctionnels comme le syndrome du côlon irritable (SCI) ou la dyspepsie fonctionnelle (7).  Le SCI, largement répandu, touche 15 à 20%  de la population. Des études ont montré que 4% de tous les patients chez lesquels un SCI a initialement été diagnostiqué souffraient finalement d’une maladie cœliaque (sérologie et biopsie positives). Pour la dyspepsie fonctionnelle, ce pourcentage est plus faible, puisque 4% des cas ont certes une sérologie positive, mais seuls 1% des cas ont une biopsie positive.
Elévation des enzymes hépatiques
Dans un tiers des cas, la maladie cœliaque s’accompagne d’une élévation des transaminases, qui se normalisent à nouveau sous traitement − sauf dans les rares cas où une hépatite auto-immune ou une hépatopathie indépendante coexiste. A l’inverse, chez 4% des patients avec une élévation des transaminases initialement inexpliquée, une maladie cœliaque est finalement retrouvée.
 Ostéoporose
L’ostéoporose est non seulement une conséquence fréquente de la maladie cœliaque, mais elle peut également en être l’unique manifestation. Ainsi, chez environ 3 % des patients atteints d’ostéoporose, une MC est identifiée comme origine.  En l’absence de facteurs de risque classiques d’ostéoporose, un  dépistage de la maladie cœliaque est  justifié.
 La malabsorption du calcium et de la vitamine D, avec une hyperparathyroïdie secondaire consécutive, joue un rôle physiopathologique de première importance dans la survenue de  cette ostéoporose. De plus, l’inflammation chronique liée à la maladie cœliaque a des répercussions négatives sur le métabolisme osseux. Un régime sans gluten améliore certes la densité osseuse mais une normalisation n’est guère possible (excepté chez les enfants), de sorte qu’un risque légèrement accru de fractures persiste chez les patients atteints de maladie cœliaque.
4/ Une maladie à forte prédisposition génétique
La maladie cœliaque est une maladie à forte prédisposition génétique (Cool, en relation avec notre carte d’identité biologique : le système HLA (Human leukocyte Antigen), un ensemble de molécules situées à la surface des cellules pour permettre au système immunitaire de les reconnaitre. La présence de gènes HLA DQ2 ou DQ8 chez presque tous les cœliaques est un élément nécessaire mais non suffisant pour développer la maladie, puisque qu’on les retrouve en moyenne dans 35% de la population alors que la maladie n’en touche que 1%.
5/ Une pathologie fréquente au Maroc
Au Maroc, 1 % de la population en serait atteint, avec certainement des pourcentages beaucoup plus élevés dans le sud marocain. 
En effet, une étude ponctuelle menée sur des enfants sahraouis en 1999, avait révélé une prévalence de 5,6 %, soit le plus haut taux connu au monde (9).
Plusieurs facteurs pouvaient expliquer cette forte prévalence : une fréquence élevée dans la population Sahraouie des gènes HLA DQ2 et/ou DQ8, une forte consanguinité, l’introduction tardive historiquement mais rapide du blé lors de la première année d’enfance et la diminution de l’allaitement maternel.
Les difficultés rencontrées à l’époque par ces populations fragilisées par une épidémie d’entéropathies, notamment, ont aussi certainement amplifié le nombre de cas observés. Il n’en reste pas moins que ce taux observé alors démontre une forte susceptibilité à contracter la maladie.
6/ Les maladies associées et le dépistage systématique
 Il n’est pas rare que la MC soit associée à d’autres maladies auto-immunes. L’association la plus fréquente   concerne le diabète  de type 1. Environ 5 à 10% des diabétiques souffrent de maladie cœliaque, ce qui s’explique par une prédisposition génétique commune entre les deux maladies (loci des gènes HLA DR3, HLA DQ2 et autres). Il existe d’autres associations déterminées génétiquement dans le cadre du syndrome polyglandulaire auto-immun : elles concernent les glandes surrénales (maladie d’Addison), la thyroïde (thyroïdite de Hashimoto) ou les parathyroïdes (hypoparathyroïdie).  Il convient aussi de rechercher une gastrite auto-immune (anémie de Biermer) et une hépatite auto-immune.
Le dépistage sérologique de la MC doit donc être  pratiqué  dans le cadre du diabète de type 1 ou lorsque plusieurs maladies auto-immunes coexistent ainsi que plus généralement pour les apparentés au premier degré de personnes atteintes de maladie cœliaque et les trisomiques 21 qui sont aussi à risque de développer la maladie (10).
7/ Le traitement de la maladie cœliaque : Un régime sans gluten à vie
Pour le moment, le seul traitement consiste à suivre un régime alimentaire sans gluten et protéines apparentées qui sont présents dans la majorité des céréales (blé, orge et seigle). On notera, par contre, que l’avoine, après avoir été considérée comme toxique, est maintenant regardée comme très faiblement toxique ou même comestible chez les malades.
D’autres voies sont également explorées dans la prise en charge de la maladie cœliaque : recherches de polymères synthétiques séquestrant le gluten dans le système digestif ou de modulateurs de la perméabilité cellulaire intestinale, vaccinothérapie, développement de nouvelles espèces de céréales moins immunotoxiques… La découverte et le développement d’enzymes capables de digérer et détoxifier le gluten dans le système digestif est aussi une de ces pistes prometteuses.
Sous régime sans gluten, les anticorps anti-transglutaminase se normalisent en l’espace de 3–6 mois. Dans les cas sévères, il est judicieux de réaliser un contrôle endoscopique-biopsique après 4–6 mois.
Conclusion
Bien observé, le régime  permet une disparition des symptômes et la survenue de complications comme l’ostéoporose, certaines maladies auto-immunes ou cancers. Les contraintes qu’il impose  peuvent cependant conduire certains patients, en particulier   les adolescents ou les jeunes adultes, à commettre des écarts plus ou moins importants. Les médecins qui assurent la prise en charge doivent en être conscients, de façon à assurer, dans un dialogue franc et ne cherchant pas à culpabiliser systématiquement, un suivi rapproché  comprenant, si nécessaire, des contrôles biologiques répétés et une biopsie intestinale
Casablanca, LE 10 Octobre 2017


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Dr MOUSSAYER KHADIJA  الدكتورة خديجة موسيار
اختصاصية في الطب الباطني و أمراض  الشيخوخة
Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie
Consultante à l’Hôpital cheikh khalifa ben zayed
Présidente de l’Alliance Maladies Rares Maroc
رئيسة ائتلاف الأمراض النادرة المغرب
Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
رئيسة الجمعية المغربية لأمراض المناعة الذاتية و والجهازية
Chairwoman of the Moroccan Autoimmune and Systemic Diseases Association
Membre de la Société Marocaine de Médecine Interne (SMMI)
Vice-présidente de l’association marocaine des intolérants et allergiques au gluten (AMIAG)
Secrétaire générale de l'association des médecins internistes du grand Casablanca (AMICA).
Vice-présidente de l'association marocaine de la fièvre méditerranéenne familiale (AMFMF)
 
 
Abstract :
Celiac disease (MC), defined as permanent intolerance to gluten, is an autoimmune disease, where the immune system attacks, in genetically predisposed individuals, the intestinal villi. The resultant atrophy of the intestinal wall causes malnourishment of nutrients and many other complications.
 
Références
1/  Fasano A. Clinical Presentation of celiac disease in the pediatric population. Gastroenterology 2005;128: S68-S73.
2/ Mouterde O and al. Le nouveau visage de la maladie cœliaque. Arch Pediatr 2008;15:501-3
3/ Rampertab SD and al Trends in the presentation of celiac disease. Am J Med 2006;119:355.e9-14
4/ Di Sabatino A, Corazza GR. Coeliac disease. Lancet. 2009;373: 1480–93.
5/  Rewers M. Epidemiology of celiac disease: what are the prevalence, incidence, and progression of celiac disease. Gastroenterology 2005;128: S47-S51
6/ Leffler D. Celiac disease diagnosis and management. JAMA. 2011;306(14):1582–92
7/ Ford AC and al. Yield of diagnostic tests for celiac disease in individuals with symp-toms suggestive of irritable bowel syndrome. Arch Intern Med. 2009;169(7):651–8.
8/ Green PH, Cellier C. Celiac Disease. N Engl J Med 2007;357:1731-43.
9/  Catassi C et al. Why is coeliac disease endemic in the people of the Sahara? Lancet, 1999, 354: 647–648.
10/  Husby S. and al  Guidelines for the Diagnosis of Coeliac Disease., for the ESPGHAN Working Group on Coeliac Disease Diagnosis, on behalf of the ESPGHAN Gastroenterology Committee European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition. JPGN 2012; 54: 136–160.